J’ai allumé le poste. Il faisait pourtant beau dehors.
Alors que je regardais presque ailleurs j’ai vu depuis mes yeux une phrase sortir du poste : Nous sommes gouvernés par des gens qui ont peur.
Puis une autre : Nous avons peur.
Et celle-ci, qui s’extirpait lentement du bout de l’antenne (une vapeur au compte-gouttes) : Avons-nous envie de nous éloigner de cette peur ?
Moi, oui, j’ai envie.
Je me suis entendu dire ça.
Ensuite les paroles en moi se sont gentiment déchaînées, des bulles, cette fois, qui remontaient, je te les cite en vrac :
On peut coder des nouveaux « pass » à chaque saison, pass’ sanitaire, pass’ vaccinal, pass’ sécuritaire, pass’ identitaire. Vas-y chef, on en trouve ici à la pelle, saison I, saison II, best of season / 48 min l’épisode clef en main. (On continuera à l’écrire à l’anglaise, pass, pass’ ça matche, et habiller nos cœurs de blouses blanches et croix rouge.)
Yes we pass. Sure we pass. On peut organiser des existences sous cloches de verre. Loin de l’animal, loin de l’impur. On peut emprunter des chemins vaccinaux complets, à défaut de vicinaux. Les mots et leur emploi, encore, avant tout balancer du choc – se sentir vibrer, trouver de l’importance aux gestes qui nous occupent. Communiquer, au bon ton bon moment, yes je tiens les rênes, yes we partagent sur le réseau.
On peut bloquer nos frontières, toutes nos frontières, même les pores de nos peaux. On se débrouillera avec les morts en mer. T’avais qu’à naître ailleurs, salaud.
On peut s’en remettre aux autres, à la voix qui envoie du lourd, à ceux qui sont assis sur la solution, là-haut la pyramide, ici je fais ce que je peux avec le quotidien. On peut respirer sans chercher à s’inventer ― déjà respirer c’est bien, invente-moi toi, moi je suis fatigué de tout ça ― on peut déposer notre cœur dans les phrases des autres.
On peut. Ça n’ôtera pas la peur. On l’aura encore, la peur. Là, regarde, au creux de la nuit, c’est elle, non ? Elle a mis un masque de Mickey ou quoi ? Au-delà du savoir scientifique, des mots-paquets qui du jour au lendemain résolvent pour nous, font glisser, à un moment ou à un autre ça se passe chacun dans le ventre : c’est intime.
Tu prétends quoi ? Tu prétends choisir quoi ?
Maintenant c’était carrément de la buée autour du poste. J’étais silencieusement en transe. Je me suis dit encore (ça continuait à sortir en bulles, un peu) :
Moi, oui, j’ai envie de ne plus avoir peur, quand je me regarde le matin dans le miroir de la salle de bain. Facile à dire, mon enfant, mais que faire ?
Alors, j’ai eu cette idée, presque bleue, que je te soumets, avec sourire et simplicité (on peut parfois du coin de l’œil donner beaucoup) : Si tu veux, demain matin, tu te mets face au miroir en même temps (il paraît que les miroirs ont des pouvoirs), et on se lance un sourire, on joue à celui qui le premier n’aura plus peur, chiche ?