très cher
te souviens-tu de ces heures,
ces heures de lézard au soleil, ces nappes de sensualité qui te baignaient les yeux, ces heures de marche ou de kilomètres avalés en musique dans l’habitacle mobile, de ces heures-là te souviens-tu, ces heures où se découvraient de petites ruelles sombres et vertes rayées d’une lumière généreuse, ces heures d’envoûtement, ces heures de lâcher-prise et d’envol, ces heures confiantes où l’infini clapotait au bord de tes orteils, ces heures bleues ces heures blanches, ces heures ouate et métal, ces heures délicates au jus de tomate et cigarette brûlante, ces heures vierges, ces heures innocentes et boulimiques où tu croquais les nuages les montagnes et les mouettes au son des cloches de vaches ou des drisses agitées contre les mâts, ces heures chien et loup, ces heures lunes de bougies et de rhum, ces heures tourbillons à décaler nu-pieds les parquets et les murs, ces heures râles de fouet et caresses, ces heures à cogner les cœurs, ces heures graves et pénétrantes comme poser le front sur un autre territoire quand un astre fugace cligne de l’œil et t’envoie un faire-part de naissance, tu décachètes alors le pli et baise la petite image du bout des lèvres
te souviens-tu, te souviens-tu de tes heures, tes heures glaciers tes heures névés, tes heures dunes et désert, tes heures en mer tes heures en vol en montgolfière à flirter la barbe des épis de maïs, tes heures d’homme tes heures femme tes heures où l’enfance vibre à tes tempes, te souviens-tu, tu baisses tes paupières sur un filament qui glisse, translucide sur le fond orangé de ton intime oculaire et tu inspires, tu t’inspires aux sources du jour, à jouir ces heures où rien ne se dit rien ne se crée sinon l’essence, t’en souviens-tu de ces heures, ces heures,
toutes ces heures d’eau fraîche et d’amour ?
[ publié Le Funambule + revue Contre-Allées (2004) ]