je n’étais pas parti pour prendre le temps du temps
— m’offrir ça
juste avancer j’étais là semble-t-il pour ça
autour c’était pas loin du plein brouillard
brume poussée loin
dans les arbres dans la terre à même les monts
— inhospitalité à tous les étages je me disais
j’entendais ma respiration se confondre avec le dehors
(à l’intérieur sûrement aussi le brouillard)
dans les pensées qui parfois s’effilochaient — presque perdaient des plumes
j’ai marché
ça n’était pas facile de les décoller celles-là
les laisser s’épancher seules
les pensées qui m’occupaient tant plus que les cailloux du chemin
les pensées qui prenaient tout de moi
me tapissaient en quelque sorte
— colonisant colonisatrices
j’ai marché je me souviens m’être assis sur la terre brun clair et la mousse d’une pente un talus
mes cheveux à cette altitude mélangés au brouillard
et l’humide à la narine
(une feuille tombée)
(en solitaire)
(le talon qui dès le début avait frotté dans la chaussure)
(mes mains, aussi, tout de même, engourdies)
plus loin je me souviens avoir réussi à faire coïncider au plein de mon crâne
la petite glande du juste centre avec cette Roche du Corbeau
d’où je m’envolais, enfant (ce replat accueillant, fidèle)
(oui j’avais été enfant)
ça n’était pas facile cette coïncidence — disparaissant à peine obtenue
ça n’était pas facile pourtant j’y parvenais à moments
me semble-t-il
superposer ces deux luminosités
je percevais là comme le séjour de quelque chose d’inouï
du plus que réparateur
du plus que baume
de cette grâce peut-être qu’on infuse à l’occasion d’occasions
(une sorte de jouissance — sans apothéose)
je me rendais compte : j’entrais bientôt
par brefs élans
dans ce plaisir de marcher pour marcher
— un pays
(la feuille tombant était de chêne)
(descendue droit sans fioritures)
à un moment glissé-rampé sous les barbelés j’ai mis mes pas sur le sentier des vaches
fraîchement creusé (leurs sabots absentés)
me suis étonné à me sentir simplement marcheur
et pied au sol, jambe, et yeux et nez, et doigts et mains au bout des bras je me souviens
avoir quitté l’objectif
GrosseChâtaigne/BonsChampignons/DépensePhysique/Musculation/Aération
— laissé dans la pente l’objectif et l’aller mieux
— et quelques kilomètres de pensée-friture
je dois te dire aussi que j’ai marché encore et repensé à ce voisin-copain
vu la veille
de voiture à voiture vitre abaissée il me disait à son travail la course
on ne travaille pas on court je te jure — tout le temps
tout le temps
il me disait qu’il était interdit de dire la souffrance qu’elle ne se dit pas
il me disait le rentable c’est lui qui prend toute la place
il me disait 15 ans tenir je pourrai pas
il ne se plaignait pas ; il disait
(dans sa voiture vitre baissée ces paroles c’était un portrait
un homme d’aujourd’hui)
ôtant mes chaussures j’avais les pieds mouillés
— les chaussettes plus que trouées au talon
je me souviens m’être dit nous avons en nous d’immenses étendues dont l’IA* n’a pas idée
je me disais que voulons-nous comme Homme
me disais que faisons-nous comme Homme
(Femme, Enfant, Homme)
je me disais que laissons-nous
que prenons-nous
et qui balaie le seuil ?
je me souviens aussi qu’à la fin sur la crête plate du retour
loin dessus ma tête il y avait eu du bleu en flaque et dedans le soleil
et que mon cœur en avait bondi
* Intelligence Artificielle : ensemble des programmes ou algorithmes permettant aux machines d’effectuer des tâches typiquement associées à l’intelligence humaine, comme l’apprentissage, le raisonnement, la résolution de problème, la perception ou la prise de décision