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l’aventure des jours / croire

J’ai arrêté de croire dans l’aventure des jours, c’est simple, je m’assois sur cette chaise et je regarde là où je me vois, il me semble qu’il s’est passé en moi un grand fracas.
Des falaises et des montagnes se sont effondrées, que je portais en moi, qui me permettaient d’autres points de vue. C’est-à-dire que je n’ai plus de hauteurs d’où voir le paysage, d’où plonger dans le temps à venir. C’est vide, autour. Plat. Je manque de perspective.

Prends tout de même le temps de souhaiter cette année nouvelle, ça ne peut que faire plaisir.

Des mécanismes qui me faisaient aller de l’avant se sont effondrés avec ces falaises. Une grande part de moi, au plancher, ne croit plus. En demain. En fraternité. En possible. Je me vois assis sur un tas de ruines, vivant et sec. Qu’est-ce qui s’est passé ? Depuis quand ?

Fais gaffe, souviens-toi qu’il est facile de dramatiser, ton ego te joue des tours, les choses se redressent d’elles-mêmes.

Je regarde en moi et vois cet être flottant, qui aimerait ne pas l’être. Cet être à la vitalité rabougrie. Manque d’eau, d’arrosage, sec. C’est ma texture, ce sec, en grande partie, un désir s’exténue, ça dure. Je me demande ce qui se passe. Qu’est-ce qui se passe. Si c’est en moi. Si c’est au dehors. Si effondrement il y a eu. Si cet effondrement a à voir avec le collectif, le monde, l’autour. Si je ne sentirais pas la fin arriver — c’est quoi au juste la fin ? — si je ne me ferais pas des idées.

Tu as pensé à voir quelqu’un ? tout le monde peut voir quelqu’un, tu sais…
Voir. Quelqu’un.

Je me demande ce que j’ai encore à faire ici. Je ne parle pas de couper court, je parle de disparition de sens. Je parle de la difficulté à se trouver du sens, dans cette marche quotidienne. Je parle du manque d’appétit par absence de sens.
Ce besoin de beauté, aussi, ça joue les lames de fond.

Tu penses trop, va vers les autres. Fais.
Agis.

La plupart des jours je ressens la plupart des actes de ma vie ― les miens et ceux que je vois autour, ceux dont j’entends les échos ― comme absurdes.

Ce n’est pas en lisant Godot que tu te facilites les jours. Essaie une série, ça tient en haleine. Essaie plus léger.

Il faut bien le dire : je crève d’absurdité. Des paysans retournent les panneaux à l’entrée de villages. La France travaille. La France patrie. Les chefs se réunissent au sommet. L’homme sauve le climat. La plus grande extinction des espèces est en cours. Dans la rue on manifeste avec des panonceaux en carton, qu’on peut tenir au-dessus de sa tête.
On peut aussi envoyer des slogans se mêler à l’oxygène, l’azote.

Je t’aime. Aie confiance. Ça dure depuis combien de temps ?

Le chanteur, accusé d’abus sexuel, n’a pas répondu à notre demande. Le policier avait dégainé sa matraque télescopique avant même le contrôle. Les confiseurs font la trêve. Le gouverneur a tranché. Mets ça bien au sec si tu veux qu’il se conserve. Le président assume. Attends un peu c’est bientôt les soldes. L’homme ne pensait pas que cela pouvait faire mal, il présente ses excuses. L’eau coule. La crémation est conseillée, penser à l’espace, qui n’est pas extensible, est une bonne chose. Je suis dans de beaux draps, me monte le bourrichon. Sur mon téléphone j’ai mis une appli qui compte les calories quand je marche, je sais ainsi où j’en suis. C’est pratique. L’escalade paraît inévitable, notre invité analyse la situation, as-tu écouté mon message, peux-tu allumer stp.

Il faudrait demander une rallonge.

Je voudrais apporter précision à ce sentiment d’absurde : je peux suivre l’habitude, et embrayer chaque matin sur l’action.
Je fais une liste,
– que je suis,
– jusqu’au soir,
– ainsi passe ma journée et les faits s’accomplissent et je vis.

J’agis, ainsi. Je peux me coucher tranquille, la liste à peu près honorée. (J’ai souvent rigolé avec un frère sur ces listes et sur le plaisir de rayer.) C’est si je m’arrête une seconde, si j’écarte mon œil de la liste pour le jeter vers ma plaine intime que l’absurde me remonte à la gorge.

Dans quels draps me suis-je mis ?
Ai-je seulement choisi ces draps ?

Je trouve du plaisir à manger, me faire de petits cadeaux, à quelques amis aussi. De temps en temps m’allonger contre cet autre corps, qui m’accompagne, que j’accompagne, nous donner des caresses, proximité, intimité. Oser des fois l’œil dans l’œil, la petite flamme commune là-derrière, que nous contemplons. Je profite aussi des fins de semaines, et de semaines de vacances, une réduction du temps de travail, je refais des forces et me détends.

J’aime voyager.
J’adore les sushis, de la sorte je suis régulièrement au Japon.
J’aime nager, avec le ciel dessus. Je brasse.

En ce début d’année nouvelle j’ai décidé de marcher plus souvent, c’est excellent, pour le corps et le mental. (Me suis dégoté des running.) Au bout d’un moment, tu parviens à ne plus penser.

J’aimerais bien te prendre la main et s’asseoir sur ce banc, regarder l’absurde en face, rire alors, et sourire, peut-être même courir, avec lui cet absurde si drôle à nos trousses, hurler cette joie de peur, puis se tordre de rire, comme le loup en jardins d’enfants. J’aimerais bien me mettre sur la tête, comme les vieux yogis, regarder le mouvement depuis l’envers.

Étendre le linge et l’écouter claquer au vent.
Samedi je fais une machine, puis je passe au présent. Chiche.

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